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L’espèce humaine est la seule où on observe des coopérations fortes, régulières, diverses, étendues et souvent coûteuses entre individus non apparentés. Il y a là une énigme en regard i) de la thèse évolutionnaire d’une compétition entre individus uniquement préoccupés par leur propre reproduction, ii) de la théorie économique classique fondée sur l’existence d’acteurs « égoïstes » entièrement voués à la maximisation de leurs intérêts. On proposera une explication de ce fait anthropologique en distinguant deux formes de coopération, l’une dite fermée – bornée à la parenté ou au groupe d’appartenance - et l’autre dite ouverte, débordant ces limites. Cette approche i)offre une grille de lecture de la masse considérable de données rassemblées sur la coopération, ii)met en évidence une spécificité d’Homo sapiens : une aptitude à des formes de coopération toujours plus ouvertes, iii)représente un enjeu sociétal, en ce sens qu’elle induit la question des choix politiques et des formes de pouvoir qui peuvent favoriser une coopération ouverte ou fermée.

Dans la perspective d’une philosophie spinoziste de la joie, je souhaiterais explorer les conditions d’une rencontre au sein de laquelle chacun des pôles en sort grandi et plus fort. Je propose d’appeler de telles rencontres des événements d’apprentissage – en un sens large qui ne se réduit absolument pas à la forme scolaire.

Il s’agira donc d’y voir plus clair en distinguant nettement, d’un côté, ce qui se joue au niveau de la relation elle-même (en termes d’affects et d’idées nouvelles), relation considérée comme la réalité première (c’est la relation qui « fait » les individus et non les individus qui « ont » des relations) et, de l’autre, ce qui se joue en termes de rapports de pouvoir, rapports considérés comme un imaginaire des positions.

Cette différence entre ce qui se passe réellement et ce qu’on imagine qu’il devrait se passer permettra d’explorer les obstacles (imaginaires, donc) qui viennent empêcher la relation d’encapacitation mutuelle, notamment par les croyances dans l’aide unilatérale (je te donne, tu reçois), croyances typiques des positions de dominant.

Il ne s’agira pas de juger ou de culpabiliser des démarches (soignantes, éducatives, etc.) souvent nourries de très bonnes intentions, mais d’essayer de comprendre ce qui (se) passe vraiment lorsque n’est pas acceptée notre vulnérabilité d’être humain et son corrélat politique : la réciprocité.

La fratrie est le berceau d’apprentissages relationnels aussi intenses que durables, qui imprimeront peu ou prou nos relations horizontales (amis, partenaires amoureux, collègues, groupes sociaux). On peut y apprendre l’entraide, le partage, le sentiment d’appartenance, la confiance autant que le conflit, l’emprise, la solitude et l’injustice. L’équilibre et l’avenir de ces apprentissages dépendront de ce qui en est fait. Mais que fait-on, au juste, de ce lien ? Comment le travaille-t-on ? Et pourquoi en parle-t-on si peu ?

L’expérience fraternelle est une source d’injustices potentielles, de la plus insignifiante à la plus souffrante. L’injustice engendre une perte de confiance susceptible d’entraver une source de soutien à l’âge adulte. Combien de patients ou de bénéficiaires avons-nous rencontrés qui, ayant rompu avec leurs parents et leurs frères et sœurs, ont pour principaux interlocuteurs des intervenants sociaux ? Les dits intervenants ayant un mandat professionnel limité dans le temps, tandis que le lien fraternel est a priori le plus long à l’échelle d’une vie, comment va-ton chercher cette ressource, et comment la stimuler en amont ?

A l’inverse, dans l’adversité de certains contextes familiaux, la fratrie peut devenir le lien d’attachement le plus secure. A nouveau, ce lien mérite un soin et une attention particulière, afin qu’il puisse nourrir un engagement mais aussi une liberté à donner et recevoir, en dedans comme en dehors de la relation, dans une dette qui lie sans enfermer. 

Le lien fraternel, comme tous les autres liens, se travaille. Pour y activer la prise de soin, la confiance et l’entraide, il nous faut favoriser les conditions d’un dialogue authentique, avec un intérêt réel pour le vécu de chacun, comme le propose la clinique contextuelle d’I. Boszormenyi-Nagy. Nous en présenterons plusieurs illustrations. 

Après avoir assisté pendant une vingtaine d'années à la destruction des dispositifs de solidarité autour des personnes en difficultés de tous ordres (physiques, psychiques, sociales…) sous la houlette des "princes du management", il est temps, au sortir de cette catastrophe humanitaire causée par le "virus de la couronne", et de reprendre la main sur nos stratégies de coopérations centrées sur l'humain. 

Dans tous les domaines de la relation d'aide (éducative, pédagogique, soignante, sociale…), il apparaît que les difficultés rencontrées par les praticiens, quels que soient leurs statuts professionnels, doivent faire l'objet d'attentions particulières. 

Mais les bons sentiments et les réponses démagogiques ne suffisent plus. Il est impératif de mettre en place des dispositifs humanisants pour aider les praticiens de la relation  à aider leurs congénères aux prises avec ces difficultés. 

Je propose de réfléchir sur la création de "constellations transférentielles" réunissant les professionnels prenant en charge des personnes dans les différents champs de la relation d'aide. Ces réunions doivent permettre d'exprimer les difficultés rencontrées dans le travail par chacun des participants, mais  dans le respect de la diversité des témoignages de chacun. Des exemples de pratiques seront apportés pour argumenter sur la nécessité de ces dispositifs institutionnels. Quelques réflexions générales concluront la conférence. "

« Vous dites que vous m’aimez, mais l’amour signifie établir une relation, faire attention l’un à l’autre, se soucier du développement et de l’existence de l’autre. » Irvin Yalom, Mensonges sur le divan.

Pouvons-nous aider nos patients à retrouver des liens de solidarité, à faire preuve d’altérité, à s’aimer eux-mêmes non pas au détriment du bien-être de l’autre, mais pour être présent (et présentable) à l’autre si nous, comme intervenants, nous ne les aimons pas ?

L’engagement du thérapeute, l’abandon d’une posture neutre et pseudo bienveillante, le dépassement d’une vision diagnostique qui fait courir le risque de la réification du sujet, devraient apparaitre comme autant de dons que le thérapeute fait à la relation avec ses patients pour que ce don de nouveau circule dans l’espace thérapeutique et ainsi dans la famille. Même si parfois, ne nous leurrons pas, ce don que nous proposons, certains patients le refusent. Mais qui sait, peut-être leur avions-nous mal tendu la main ?  

Dans les situations qui relèvent du droit familial (divorce, garde des enfants, etc.), de nombreux professionnels jouent un rôle. Ils viennent d’univers différents, sont juges, avocats, psychologues, experts, travailleurs sociaux et contribuent chacun à prendre une décision déterminante pour la vie des enfants. 

Comment les parents vivent-ils cette relation avec autant de spécialistes qui donnent chacun des conseils et des informations différents des autres ? Comment se fait-il que ces professionnels se connaissent si mal, se parlent si peu et que les échanges entre eux soient aussi rares et aussi pauvres ?  

Lors de son intervention, Ursula Kodjoe décrira comment les hiérarchies, les concurrences, les anxiétés, la peur d'avoir fait des fautes, commis des erreurs et d'être critiqué, la crainte d'une perte de pouvoir et d'un affaiblissement de notre position constituent de réels obstacles à une coopération interprofessionnelle.

L’oratrice montrera ensuite comment il est pourtant possible de créer une dynamique radicalement différente et extrêmement enrichissante grâce à quelques démarches volontaristes : favoriser la coopération à l’amiable, créer une ambiance permettant de parler et de partager ouvertement ses propres échecs, faiblesses, fatigues, crises émotionnelles, fureurs et joies - enfin parler du soulageant partage de la responsabilité lourde qui mènera à une réduction de stresse et un accroissement de satisfaction au travail.

Enfin, Ursula Kodjoe décrira comment un tel climat entre professionnels pourra avoir un retentissement important sur les parents en situation de séparation, et qui sont eux aussi confrontés au défi de coopérer ensemble malgré leurs différends. 

Elle montrera ainsi comment les enfants seront les plus grands bénéficiaires de changement d’état d’esprit. 

En France, depuis 1938, le fait d’ « aider, de manière directe ou indirecte, de faciliter ou tenter de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France » est un délit.

Cette incrimination avait initialement pour vocation de faciliter les opérations de police pour renvoyer les étrangers dans leur pays et lutter contre le trafic d’êtres humains en poursuivant ceux qui en faisaient commerce. En pratique, après la crise migratoire ayant débuté en 2015, de nombreuses personnes ont été poursuivies sur le fondement de ce délit alors qu’elles clamaient la vocation purement humanitaire de leur action.

Aujourd’hui, les exemptions prévues par la loi lorsque l’aide a été accomplie dans un but humanitaire ont été élargies, notamment à la suite d’une décision phare du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018, reconnaissant valeur constitutionnelle au principe de fraternité.

Toutefois, des décisions de condamnation continuent d’être prononcées contre ceux qui n’agissent que par solidarité avec autrui.

La loi ne devrait-elle pas punir que l’aide lucrative aux migrants et non l’aide humanitaire ? La solidarité peut-elle être un délit dans un pays dont la devise a pour composante la fraternité ?

La mort et l’incertitude viennent de reprendre une place marquante dans nos sociétés, où désormais la mort compte et surtout est comptée… en mettant à mal les supports sociaux et les rites traditionnels. Partant de notre expérience de 25 ans d’accompagnement de couples vivant des décès périnataux et d’enfants, il sera montré combien la mort nous délie de nous-même et des autres, et comment le chemin du deuil est un retour vers soi puis vers les autres. Au sein des groupes de soutien, nouvelle forme de ritualisation sociale, la parole offre des mots à penser, reliant les participants dans des dynamiques kaléidoscopiques qui permettent à chacun de se retrouver pour ensuite revivre l’altérité puis la solidarité.

La sociocratie, mode de gouvernance et boîte à outils, apparaît dans les années soixante aux Pays-Bas. Ce modèle se répand progressivement un peu partout dans le monde dans différents secteurs d’activités. Mais de quoi s’agit-il vraiment ? Quels sont les principes sociocratiques ?

A l’heure actuelle, alors que les invitations à collaborer et à travailler en intelligence collective se multiplient, cette approche sociocratique peut-elle être inspirante pour les professionnels de l’aide ou de la santé ? Ou s’agit-il d’une approche de plus dont l’objectif est la rentabilité au détriment de l’humain et de son bien-être ? 

Collaborer, co-construire, décider collectivement, est-ce si simple ? Suffit-il d’être nombreux autour d’une table pour qu’émerge l’intelligence collective ? Ressortez-vous serein-e, détendu-e, satisfait-e de vos réunions de travail ? Ou plutôt frustré-e, en colère, déçu-e, las-se ? Avez-vous l’impression d’être pris-e en considération dans les prises de décision ou vous soumettez-vous à des décisions que vous jugez déconnectées de la réalité de terrain ? 

Y a-t-il des conditions nécessaires à l’implémentation de la sociocratie et à l’émergence de l’intelligence collective ? Collaborer, cela s’apprend-il ? Si oui, comment ? Vouloir partager le pouvoir, les responsabilités, les prises de décisions, est-ce une utopie ? Comment gérer les manifestations de l’égo, les jeux de pouvoir, les peurs et construire des relations interpersonnelles de qualité basées sur la confiance, la sécurité et le respect mutuel ? 

Autant de questions qui seront abordées et illustrées à travers des exemples concrets vécus dans secteur non marchand et le secteur associatif. 

Tous les styles musicaux peuvent se retrouver au sein d’une équipe. Dans le jazz, le groupe régule la musique et chacun y va de son solo. Avec le concerto, le soliste rivalise avec l’ensemble des musiciens. Pour la symphonie, le chef orchestre les pupitres. A moins qu’au rendez-vous, ce ne soient la cacophonie ou au contraire, des silences emplis de non-dits ?

Coopération et solidarité sont le résultat de tout un travail, jamais fini. A l’insu de tous, l’ego, les fragilités de l’humain et la clinique mettent inévitablement à mal ces valeurs. 

Lors de la conférence, nous aborderons quelques éléments pour tenter de garder vivante la coopération : la régulation des affects par la structure, le dépassement des enlisements émotionnels, l’arrimage de l’horizontalité des rapports à une verticalité - quelle qu’en soit la forme -, la manière d’habiter et d’accepter la fonction de direction autant réclamée que décriée, etc.

Le monde du travail est traversé par des logiques d’individualisation, d’évaluation, de performance, de compétition qui confrontent les travailleurs à des dilemmes impossibles. Il faut faire plus avec moins, être autonome dans un univers de prescriptions codifiées, obéir à des normes qui entravent la possibilité de bien faire son travail, démontrer la qualité à partir d’indicateurs quantitatifs… Les organisations du travail deviennent « paradoxantes » brisant les possibilités de coopération et de résistance.  

Les professionnels de la relation sont doublement touchés par ce phénomène. D’une part, ils souffrent comme les autres travailleurs et d’autre part, ils sont sollicités pour apporter leur aide aux personnes en souffrance. Les approches cliniques habituelles d’aide et d’accompagnement sont elles-mêmes mises en cause par la culture de l’urgence, l’exigence de résultats et l’idéologie managériale. 

Face à ce constat, que faire ?

Faut-il s’adapter, fuir, résister ? Entre réactions défensives et mécanismes de dégagement, entre soumission et émancipation, entre l’action individuelle et l’engagement politique, nous verrons quelles sont les réponses possibles …